Critique parue dans le N°49 de la revue "Basilic"
Ce pourrait n'être que... il pourrait n'y avoir que...
les mots passent ici comme à travers les bandelettes qui entourent le mort.
Ce pourrait n'être que le récit d'un homme émergeant de huit mois de coma.
Et ce serait déjà flamboyant
L’action
s’agencerait alors en figures géométriques : le miraculé au
centre suscitant différents plis de douleur : le ressentiment
culpabilisé de sa femme, le poids de ce corps si vulnérable et si
dense, le temps et l’espace s’organisant en lignes, en plans.
Nous serions déjà dans le mystère de cette vie qui dessine des
cercles concentriques quand on plonge le doigt dans son flux. Il
pourrait n’y avoir que l’image de Lazare, traversant une mort
accidentelle pour surgir de nouveau, le crâne boursouflé de
greffes, les jambes malingres mais qui vont néanmoins faire un
numéro de claquettes. Pourtant en perspective, derrière la
silhouette de Lazare se profilent celles de Marie et de Marthe, en
intenses esquisses. Un peu plus loin on voit s’ébaucher Job,
immobile au coeur de ses questions. Pourquoi ? Pourquoi moi ?
Pourquoi doit-il subir cette épreuve ? (...) Pourquoi est-il sorti
du coma quand tant d’autres y restent ?
La
Seconde Vie de Clément Garcin nous place de fait dans un “ retour
à la vie ”, et ce retour peut être monstrueux, pour soi et pour
les autres. On n’en suit pas moins les étapes de la résurrection,
la fin des bandages, les premiers pas, la sortie. La réinsertion et
ses crises. Et l’ensemble s’offre comme une métaphore de toute
vie, par la force des choses.
Mais
voici que le texte vient à s’incliner : des lettes incises,
écrites en italique, donnent au récit une tension polyphonique.
D’où vient cette voix qui s’adresse à Mon Antoine ? Le
texte dès lors s’élabore sur une logique de contrepoint.
Clément
Garcin est un jeune ingénieur particulièrement doué, à l’origine
d’une start-up avec son ami Sylvain. Brillant, il porte Hop là
! vers des splendeurs boursières. Puis tout s’effondre. Le
retour sur investissement est une promesse à laquelle les financiers
ne croient soudain plus. Emballement des faillites, surf endiablé
sur le web, et voici que Clément se retrouve, au gré de clics
frénétiques, face à un Lazare d’Odilon Redon. Les yeux dans
les yeux. Clément se regarde regardant Lazare. Et Clément se voit.
Pour la première fois.
Dans
le chaos du monde et des langues, comment se trouver ? Comment
renaître en s’atteignant enfin. Comment vivre quand
son œuvre s’effondre ?
Les lettres italiques adressées à Antoine
font écho à cette quête de soi, du monde et du sens, mais elles
s’inscrivent dans une errance essentiellement artistique : Van
Gogh, Rembrandt, Venise et la Scuola Grande di San Rocco, le Musée
National de Messine. Les œuvres y sont scrutées avec acuité, pour
percer le mystère de la vie qui nous porte, malgré tout, et avec
confiance. Même dans la révolte que suscite le miracle de vivre
encore : Il (le Caravage) peint les
miracles comme des faits divers, avec la même brutalité et la même
violence que les décollations qui l’ont rendu célèbre et maudit.
Oui, mon Antoine, je viens d’assister à un crime. la résurrection
de Lazare n’est autre que sa mise à mort détournée – retardée,
anticipée, répétée. Par la
douleur, s’accomplit la quête de l’être, la recherche du père.
Ce
récit procède de l’éclatement, des personnages et des points de
vue et cet éclatement est nôtre, mais il est ici suscité par une
construction troublante et envoûtante ; sans cesse nous devons y
participer. Son écriture est conçue comme un geste qui provoque la
vie, le renouveau, la résurrection. En témoigne le regard de la
fille de Clément Garcin – la facétieuse Linou – qui le scrute,
ébahie, dans son retour et qui sans doute génère un autre aspect
du texte, qui ne demande qu’à se révéler.
Mystère,
certes. Je n’en dirai donc pas plus, désormais réduit au silence
par le spectacle des bandelettes qui tombent.
Linges
entre les lignes
Je
referme la couverture comme Lazare
referme
son tombeau de fusain
Yves Hugues, Basilic N°49, décembre 2014
http://amourier.raynette.net/pub/ftp/pdf/Basilic/Basilic49.pdf
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