"Faire comme si", pour maquiller le crime - chronique dans Les Cahiers de l'effpp
Il
est des choses qu’on ne veut pas entendre. Qu’on ne peut
entendre. Je viens d’entendre les « deuzéleu » moi
aussi, à la lecture de ce livre. C’est dire la force de
l’interdit. De l’interdit de dire. De l’interdit de parler. Car
il est impossible d’entendre. Mais que ne veut-on pas entendre ?
L’auteur, dès les premières pages, nous dit avoir « attendu
une vie entière », pour pouvoir enfin « nommer »,
« prendre pleinement conscience » de ce qui lui est
arrivé, lorsqu’il avait six ans. Or l’auteur est encore jeune…
il lui reste encore de la vie à vivre. Désormais il y aura pour lui
une frontière, dont le tracé surgit avec la convocation pour un
procès en assise. Comme si enfin le droit venait percuter silence,
« le silence noir des bonnes familles ». Arracher les
faux semblants, piètres oripeaux dont tout le monde s’est paré,
croyant ainsi effacer le crime. Faire disparaître les preuves, au
prix même de la négation de soi par la négation de l’autre.
Laisser l’enfant se « voir disparaître » dans le trou
noir de cette entente secrète, scellée par les adultes tout autour
de lui comme un pacte de non-retour à la vérité. À la vie même. À
ce jeu de dupe dont le principe est le « faire comme si »
pour maquiller le crime, l’enfant se plie aussi. Il n’a pas le
choix.
Avec
« mes deuzéleu », Cyrille Latour brise enfin son
silence, fait voler en éclat la « chair molle » d’une
scène … « jusqu’à ce qu’il (n’en) reste plus
rien », jusqu’à l’épuisement de tous les mots - ses mots
- rendus à l’écriture.
Ce
livre doit être lu par tous les éducateurs, les professionnels en
charge d’enfants, d’adolescents, qui ont, pour certains – et
souvent beaucoup d’entre eux – été abusés dans leur innocence.
Jouets entre les mains d’adultes ou de plus grands tapis dans
l’ombre comme le « loup aux yeux brillants », combien
de « deuzéleu » ont, auront à tout jamais, perdu
dans la nuit de leurs souvenirs, ce temps de l’enfance où
s’enracine le désir pour toute une vie à venir ?
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