Critique de Tess Magazine
Cyrille Latour, chasseur de fantômes
Qu’est-ce qui est le plus réel ? La vie que l’on mène au
quotidien et devant témoins, ou celle que l’on se rêve dans
l’appartement d’un autre ? D’énigmatiques personnages s’interrogent dans
“De l’Univers visible et invisible”, le tout aussi mystérieux premier
roman de Cyrille Latour.
/Par Pamela Pianezza/
S’il fallait trouver un réalisateur pour adapter De l’univers visible et invisible, il
faudrait chercher du côté des amateurs de fantômes, du type Leos Carax
ou Apichatpong Weerasethakul. Dans ce premier roman du cinéphile
professionnel Cyrille Latour, le narrateur, bavard et mystérieux,
s’infiltre dans les appartements de ceux qui viennent de s’absenter,
grâce à un trousseau de clés quasi magique offert par un mystérieux
« Monsieur Edouard » qui passe ses journées au BHV.
L’homme – appelons-le « le Visiteur » – hume ce vide tout frais et se
remémore des histoires dont on ignore si elles sont de véritables
souvenirs ou les rêves éveillés d’une autre existence. D’autres vies que
la sienne, en quelques sortes. La véracité des faits, tout comme
l’identité du personnage, importent finalement assez peu. Seule compte
la confrontation de ces souvenirs aux nôtres.
Le rythme est étonnant, témoignant à la fois d’une urgence dans la
narration et d’une acceptation contemplative du temps qui passe. Parce
qu’elles brouillent sa perception du présent et du passé, les incursions
méditatives du personnage dans l’intimité des autres sonnent comme un
défi au déroulé normal du temps.
Au contact des absents, le Visiteur se réconcilie avec ses souvenirs d’enfance et, petit à petit, avec lui-même, l’autorisant, peut-être, à rejoindre le monde des présents.
Au contact des absents, le Visiteur se réconcilie avec ses souvenirs d’enfance et, petit à petit, avec lui-même, l’autorisant, peut-être, à rejoindre le monde des présents.
Au cœur de cette quête personnelle se glisse une autre histoire,
celle de l’étrange Monsieur Édouard. Pour raconter le passé de ce
gentleman ouvreur de portes et venu d’un pays en guerre, quelque part à
l’Est, Cyrille Latour quitte le registre de l’intime pour celui du
tragique. Un canevas un peu acrobatique qui n’enlève rien à la clarté de
cette belle et poétique chasse aux fantômes.
De l’Univers visible et invisible, de Cyrille Latour (Editions L’Amourier)