Critique de Pro/P(r)ose
"Habité
par l’image et féru de septième art, Cyrille Latour déploie un style
cinématographique, où les séquences se juxtaposent, où les phrases se
tordent, se fractionnent, s’étoffent au gré des ellipses"
Une critique parue dans le (très bon) Pro/prose Magazine
Une critique parue dans le (très bon) Pro/prose Magazine
Après un premier roman encensé et primé, De l’univers visible et invisible, paru en 2012, ainsi que La seconde vie de Clément Garcin, en 2014, Car l’amour existe
fait figure d’œuvre singulière dans le parcours de Cyrille Latour, à la
fois sensible et cinématographique, publiée il y a quelques mois aux
éditions L’Amourier.
Cyrille Latour conçoit l’écriture comme une « activité,
discrète jusqu’à la clandestinité, qui nourrit toutes les autres et
s’en nourrit en retour. Elle est la dernière parallèle : celle qui
croise toutes les autres. » Il la considère comme « déterminante », « structurante », et « libératrice ». C’est cette essence quelque peu cathartique qui confère toute sa force à Car l’amour existe, un récit sensible, que l’auteur tire de son expérience personnelle et dédie à sa compagne.
Si l’œuvre fait sans conteste écho au court métrage de Maurice Pialat, L’amour existe,
réalisé en 1960, elle ancre et greffe son récit autour de la trame
narrative du cinéaste, jouant avec elle. Le noir et blanc de Cyrille
Latour répond à cet univers entre poétique et chirurgie qui, en
parcourant la banlieue, glisse pour ainsi dire dans une réécriture toute
personnelle et intime du classique de Pialat. Latour se fond, cherche à
adopter la posture tantôt objective tantôt purement subjective du
contemplateur, que retranscrit la voix sombre et mélancolique de
Jean-Loup Reynold.
Habité par
l’image et féru de septième art, Cyrille Latour déploie un style
cinématographique, où les séquences se juxtaposent, où les phrases se
tordent, se fractionnent, s’étoffent au gré des ellipses. Par touches de
vulnérabilité et de résilience, l’auteur se souvient, réécrit au fil
des plans cette histoire vécue, douloureuse et emprunte de tristesse. Il
s’empare de ces thématiques pour les montrer sous un nouveau jour. Dans
la lignée de Pialat, l’écrivain dépeint l’absurdité, l’attente qui
façonnent notre société, corrodant le mouvement, la monotonie de notre
quotidien, qui semble de plus en plus souffrir d’une perte de repères et
de sens.
Car l’amour existe,
réfléchit à la vie, au deuil, au manque ou encore à l’absence. La
nostalgie, l’amour y occupent une place de choix tandis que les
impressions, les objets, les lieux de passage et de vie, imprégnés des
instants heureux, participent à la résurgence du souvenir, font revivre
l’être aimé, l’enracinent dans la mémoire pour mieux le sublimer et lui
rendre un hommage empli de tendresse.
- Karen Cayrat